[Dossier Les métiers du futur ] #5 Les Métiers Numérique et Education

Le monde de l’éducation doit lui aussi se saisir des opportunités offertes par les nouvelles technologies pour se questionner et se réinventer.

 

Une institution longtemps imperméable au numérique

 

En 1922, Thomas Edison annonçait que le « film cinématographique » était « destiné à révolutionner notre système d'éducation ». Des affirmations similaires ont été formulées à propos de la radio, de la télévision et plus récemment d’Internet. Pourtant, le numérique est loin d’avoir bouleversé l’éducation contrairement à de nombreux autres secteurs. Si sur la forme, notre système éducatif a connu des changements conséquents au cours des derniers siècles : d’un enseignement autrefois confié à des précepteurs et réservé aux jeunes garçons issus de l’élite, nous sommes passés, dans les années 60, à une école publique, mixte, gratuite et laïque. Sur le fond en revanche, l’enseignement se fait comme il a toujours été fait : les élèves suivent les cours dispensés par un-e professeur-e, assis sur les bancs de l’école, dans leur salle de classe.

Le premier confinement de 2020 a été un évènement particulièrement révélateur du retard de la digitalisation du système éducatif français. En l’absence d’une infrastructure numérique performante, cette condition contraignante a conduit les enseignants à improviser en faisant preuve de créativité et a ainsi fait émerger de nouvelles pédagogies, souvent apprises sur le tas et sans lesquelles, la continuité pédagogique n’aurait pas été possible.

Ces retards peuvent se comprendre au regard de notre système institutionnel, peu flexible et bien plus réactif que proactif, qui a souvent eu tendance à considérer le numérique comme une filière industrielle à part entière et non comme la révolution systémique qu’il représente. Mais la réalité est que, les usages numériques bouleversent et réinventent nos comportements et nos cultures et notre système éducatif ne nous prépare malheureusement pas assez à la société de demain, incertaine et mouvante, qui appelle à davantage de flexibilité. Le monde de l’éducation ne doit pas laisser le numérique à la porte de l’école, mais doit lui aussi se saisir des opportunités offertes par les nouvelles technologies pour se questionner et se réinventer. Les applications du numérique au champ éducatif sont nombreuses. Si c’est une question dont se sont déjà emparés les acteurs de la formation continue, son potentiel n’est exploité que marginalement dans notre système d’éducation.

 

 

Le Numérique, révélateur des défis de l’Education Nationale

 

Depuis presque deux décennies déjà, plusieurs plans gouvernementaux ont tenté de « faire rentrer l’école dans l’ère numérique ». Bien que peu fructueuse, cette volonté institutionnelle a tout de même laissé des empreintes sur le système éducatif français. On a par exemple l’introduction d’outils numériques tels que l’environnement numérique de travail (ENT), plateforme web de relai entre les enseignants, les élèves et les parents, ou le tableau numérique interactif (TNI) installés dans les classes. Enfin, parce que les jeunes évoluent dans un monde digital, l’Etat a également pris conscience de l’importance de combattre l’illectronisme  : c’est pourquoi le numérique s’inscrit plus fortement aujourd’hui dans les enseignements dispensés à l’école (PIX, EMC, SNT, etc.). Afin de permettre aux élèves de pouvoir s’insérer dans la société, il est finalement question d’enseigner au numérique, par le numérique.

  

          Pourtant, même si la crise sanitaire a permis de montrer l’intérêt des nouvelles technologies, il subsiste toujours une certaine résistance quant à son acceptation dans la sphère éducative. Le confinement a en effet également mis en avant les limites de l’informatique, puisque l’école à distance a été révélatrice de la fracture numérique et n’a fait qu’amplifier les inégalités scolaires déjà existantes. Mais il s’agit peut-être là de l’erreur couramment commise : voir l’enseignement à distance comme la seule modalité et l’aboutissement d’une digitalisation réussie de l’éducation. Or, ce qu’il faut comprendre, c’est que si l’enseignement en ligne s’est imposé, par nécessité, pendant la période de confinement, il n’est pas destiné à remplacer les cours dispensés en présentiel. 

C’est d’ailleurs et sans doute la raison pour laquelle le numérique n’a pas encore révolutionné l’éducation : l’enseignement ne se réduit pas à une relation descendante entre l’apprenant et l’enseignant. Comme en témoigne l’expérience du premier confinement : mettre une caméra entre un prof et ses élèves ne suffit pas. Le développement et l’acquisition des savoirs scolaires se produit dans un contexte éducatif et social bien précis, avec d’autres apprenants et passe ainsi par un ensemble complexe d’interactions, aussi bien verbales que non verbales. Si ces situations d’apprentissage ne peuvent être recréées par le numérique, il peut en revanche prodiguer des outils et des ressources au service de l’élève et de l’enseignant, permettant de renforcer la qualité de la pédagogie de ce dernier.

Ainsi, contrairement à l’idée développée par la plupart des plans gouvernementaux dont l’objectif était d’investir dans l’équipement des établissements scolaires : le numérique n’est pas la solution aux problèmes structurels de l’Education. Il ne suffit pas d’équiper en matériel et solutions numériques, il faut également repenser globalement le système éducatif et établir une symbiose avec l’écosystème numérique. Ce dernier point a malheureusement longtemps été ignoré puisque la responsabilité de réfléchir aux usages pouvant être faits des technologies dont elles se voyaient dotées, revenait très souvent aux équipes pédagogiques, insuffisamment formées pour être opérationnelles.

 

 

Quelle place pour le numérique dans l’école de demain ?

 

Le premier confinement a été un véritable électrochoc, ayant sans nul doute permis l’accélération de la prise de conscience quant à cette réalité, comme en atteste les Etats généraux du numérique en 2020, tenus dans le cadre du Grenelle de l’Education qui devait « permettre d’engager une évolution profonde du système éducatif et des métiers des personnels de l’Education nationale ». Les enjeux étaient divers mais il était, entre autres, question de « tirer les enseignements de la crise sanitaire » et de « renforcer la stratégie numérique éducative ». A l’issue de cette consultation nationale, plusieurs axes de développement ont été adoptés : équiper le personnel en matériel informatique, développer les ressources numériques éducatives ou encore, former les enseignants aux compétences numériques.

Si le confinement a permis de souligner l’importance du « facteur enseignant » dans l’accompagnement et la réussite scolaire des élèves, la crise

sanitaire a également mis en avant le manque de formation d’une partie du monde enseignant. Or, si « l’école du 21e siècle doit former les élèves pour qu’ils soient capables de s’adapter tout au long de leur vie à un environnement en constante évolution », elle doit également développer les compétences numériques des enseignants et les doter des clés de compréhension nécessaires pour qu’ils puissent être à même de le faire.

On peut ainsi s’accorder sur le fait que le numérique ne doit pas se substituer à l’enseignant mais doit être utilisé comme un outil supplémentaire et qu’il est par conséquent essentiel de former le personnel éducatif à son utilisation. Mais l’Etat doit également développer en parallèle ces dits outils éducatifs digitaux. C’est un champ que s’est déjà approprié tout un secteur d’activité, au potentiel considérable , mais encore peu exploité et sollicité en France : la EdTech. 

L’une des perspectives motrices de ce secteur est la personnalisation des apprentissages : avec les outils numériques, l’éducation peut se faire « sur-mesure ». Le modèle de l’enseignement actuel qui se traduit par une relation asymétrique et descendante entre l’enseignant, détenteur du savoir et les élèves, positionnés face à lui, serait donc voué à laisser plus de place à une éducation plus individualisée. Les technologies numériques et notamment les algorithmes d’intelligence artificielle, peuvent permettre un suivi du parcours éducatif de l’élève et lui proposer des activités optimisant son apprentissage.

Toujours dans l’esprit de tendre vers une formation qui se veut moins descendante, la EdTech propose également de nombreuses méthodes d’apprentissages plus interactives et stimulantes, afin d’engager les apprenants et qui passent par le recours à la simulation, la réalité virtuelle ou augmentée et la robotique avec lesquelles les jeunes sont déjà à l’aise.

Il est légitime de considérer que certains acteurs du monde éducatif se montrent technophobes et redoutent une marchandisation de l’école en raison de l’intervention de ces acteurs privés. Par ailleurs, rappelons le fort intérêt des entreprises du numérique, dont la EdTech fait partie, à capitaliser sur les données personnelles des utilisateurs : c’est un énorme potentiel économique que de connaitre la trajectoire professionnelle et l’orientation des jeunes. La donnée reste la monnaie de l’ère numérique, même une donnée éducative. Néanmoins, le pilotage par la puissance publique des usages numériques à développer doit permettre de garder le contrôle sur l’intrusion de ces acteurs privés et accompagner ainsi cette transformation digitale, dans le respect des valeurs morales et éthiques des instances éducatives, évitant ainsi que l’Education ne se retrouve soumise, à son tour, aux forces du marché.

De nombreux pays ont ainsi une longueur d’avance sur la France en la matière. La Norvège par exemple a su développer, par un usage précoce des outils numériques, un lien enseignant-élève en dehors de la classe grâce à la plateforme itslearning, un ENT 2.0, leur permettant de consulter et d’envoyer leurs devoirs, de contacter les enseignants par visioconférence. Ainsi, de la primaire au lycée, la complémentarité du numérique et sa valeur ajoutée forcent l’évidence, élèves comme enseignants s’appropriant le numérique et ses automatismes. Les jeunes acquiérent des réflexes de travail qui leur seront utiles plus tard.

 

 

Le changement de paradigme : d’apprendre à « apprendre à apprendre »

 

Ce n’est pas par hasard si le numérique arrive aujourd’hui dans l’éducation, car les enseignants ne sont pas les seuls concernés par la nécessité de devoir se former même à l’âge adulte. C’est une révolution qui est en marche dans bien d’autres secteurs et qui touchera également demain, les jeunes d’aujourd’hui. En leur apprenant à se servir de l’informatique à des fins pédagogiques, on les prépare à leur vie adulte et on les autonomise dès le plus jeune âge à « apprendre à apprendre », car l’acquisition de connaissances et de savoirs est une capacité qu’ils devront exercer tout au long de leur vie.  

En effet, le numérique change la trajectoire de vie classique établie depuis bien longtemps déjà, soit celle d’une vie rythmée en deux temps. Autrefois, on étudiait durant les premières années de sa vie et on s’insérait ensuite dans le monde professionnel, grâce au diplôme obtenu à l’issue de sa formation

initiale. Seulement aujourd’hui, l’impact du numérique est tel que les évolutions scientifiques et technologiques conduisent à une réactualisation permanente des compétences nécessaires et attendues sur le marché du travail. On estime que 80% des métiers de demain n’existent pas encore. Afin de préserver son employabilité, il devient donc impératif de développer en permanence et tout au long de sa vie, ses compétences professionnelles et ce, même après l’obtention de son diplôme. Il s’agit là de l’un des lourds défis que le système éducatif – et celui de la formation en général – peine à relever : suivre le rythme de l’innovation numérique afin de former les jeunes de manière adéquate, pour qu’ils puissent trouver un emploi décent sur un marché du travail mouvant et évolutif.  

Face à ces enjeux de taille, on observe que l’école perd le monopole de la connaissance. Le numérique ayant démocratisé l’accès à l’information, les instances éducatives dites « officielles » ne sont dorénavant plus les seuls lieux privilégiés et légitimes de la transmission du savoir. En effet, les technologies numériques permettent de dépasser les contraintes spatio-temporelles et donnent accès à diverses sources d’information et de formation : on peut apprendre quand l’on veut et où l’on veut. En ce sens, bien que la société numérique nécessite une formation tout au long de la vie, elle la facilite également puisque le numérique apparaît comme un levier puissant en la matière.

Ainsi, il n’a jamais été aussi facile de se former. MOOC (Massive Open Online Course), sites d’autoformation proposant des cours en e-learning, colloques, tutoriels ou encore diplômes par correspondance, sont facilement accessibles sur Internet et permettent de développer ses compétences professionnelles. De nombreuses professions ont d’ailleurs déjà investi ces outils numériques. C’est le cas par exemple des développeurs qui doivent se former tout au long de leur vie afin d’éviter l’obsolescence de leurs compétences. Les techniques d’apprentissage via la réalité virtuelle et notamment la simulation sont également utilisées dans la formation continue des soignants et des pilotes de ligne.

 

 

Les métiers du futur

 

Contrairement à d’autres secteurs qui ont été bouleversé et révolutionné par le numérique et pour lesquels il est facile de se projeter vers l’avenir, l’usage des nouvelles technologies dans l’éducation n’en est encore, pour l’heure, qu’à ses balbutiements.

Dans cette transition en cours vers une éducation raisonnablement plus digitale, c’est le secteur de la formation professionnelle qui ouvre la voie. Les tendances dans ce secteur nous font faire des hypothèses sur le devenir du monde de l’Education. Ainsi, l’enseignement pourrait peut-être, demain, rechercher des ingénieurs spécialisés dans la conception de jeux pédagogiques et d’outils en ligne. On pourrait également voir se transformer le métier d’enseignant, pour voir se développer, la dichotomie entre d’un côté, le concepteur du programme et des séquences pédagogiques, et de l’autre, l’animateur. 

Alors que le plus gros du travail reste encore à faire, il y a donc un monde entre l’enseignement traditionnel actuellement en transition et la fiction que représenteraient la conception de robots enseignants ou la mise en œuvre d’une éducation 100% numérique. Entre ces deux points, un ensemble de questions éthiques, philosophiques, scientifiques et économiques, se posent. L’humain peut-il laisser place à la technologie dans l’art d’enseigner ? Est-ce que vers quoi il faut tendre ? Et si cela était rendu possible par les avancées techniques, serait-ce que nous voulons ? Ou placer le curseur de l’apport du numérique par rapport à l’apport humain ? Enseigner à des jeunes, est-ce la même chose que de former des adultes ? Le solutionnisme technologique et l’innovation à-tout-crin de nos « start-up nations » ne doivent pas prendre le dessus sur les apports des sciences de la pédagogie, des neurosciences, de la psychologie du développement, ni chercher à combler des manquements sans mesurer l’importance des réalités et inégalités sociales influençant les capacités à suivre un enseignement. Particulièrement sur le sujet de l’éducation, questionner le sens de la technologie et ses impacts au long court sur notre société est un travail nécessaire et permanent, de l’Etat et de l’ensemble de la société civile.

 

Dossier réalisé par Akiran Kirupakaran

 

 

Aller plus loin :

https://www.educavox.fr/innovation/recherche/apprendre-aujourd-hui-et-re-apprendre-demain-avec-le-numerique

https://www.inria.fr/sites/default/files/2020-12/Livre%20Blanc%20Inria%20%C3%A9ducation%20et%20num%C3%A9rique.pdf

https://www.innovavenir.com/mag/actualites/limpact-des-edtech-pour-leducation-au-bett-education-show

https://www.vteducation.org/fr/les-4-tendances-en-technologie-emergente-qui-vont-commencer-a-faire-la-difference-en-education-en

 

Pour tout savoir des Métiers du Futur :

# 1 Les Métiers Numérique et Environnement

# 2 Les Métiers Numérique et Mobilité

#3 Les Métiers Numérique et Urbanisme

#4 Les Métiers Numérique et Santé